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  • David Boudeweel-Lefebvre

Est-ce que la clause dérogatoire passera le test?

Au cours des derniers jours, le premier ministre Justin Trudeau s'est positionné en ultime défenseur de l'ordre constitutionnel du Canada. En évoquant la possibilité de demander à la Cour suprême de se prononcer sur la clause nonobstant, il en a froissé plusieurs au Québec et dans d'autres régions du pays.


Incluse dans la Loi constitutionnelle de 1982, la clause dérogatoire donne aux provinces, aux territoires et au gouvernement fédéral du Canada le pouvoir de déroger à certaines parties de la Charte des droits et libertés pour des périodes de cinq ans lors de l'adoption de lois. Au cours des dernières décennies, le Québec a utilisé cette clause à quelques reprises pour légiférer sur des questions linguistiques et culturelles. Bien que ces cas aient suscité des réactions négatives, ils ont été tolérés ; les Canadiens ont largement accepté que ces utilisations de la clause servent à éviter d'aliéner la majorité francophone d'une province qui pourrait voter pour se séparer du reste du pays.


Cependant, l'Alberta, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont récemment tenté d'utiliser la clause dérogatoire pour mettre en œuvre des mesures qui n'ont rien à voir avec la protection de leur identité linguistique ou d'autres préoccupations culturelles. Le gouvernement fédéral a mal réagi et le Québec a été renforcé dans sa volonté d’aller encore plus loin pour se soustraire au droit constitutionnel. Le gouvernement fédéral craint maintenant que les vannes s'ouvrent et qu'il perde le contrôle des ambitions des provinces. Saisissant l'occasion, Trudeau a déclaré que la responsabilité lui incombait.


Face à la perspective d'une campagne électorale qui pourrait bien être sa dernière, Trudeau veut rappeler aux électeurs qu'il est un Québécois et qu'à ce titre, il est le dernier rempart contre ce que les libéraux traditionnels considèrent comme une trop grande affirmation de la province. Voyant une occasion en or de mettre le chef conservateur Pierre Poilievre au pied du mur, Trudeau considère qu'il peut jouer le rôle d'unificateur et forcer ses adversaires à faire la part des choses entre la partisanerie et les impératifs d'unité nationale.


Le premier ministre du Québec, François Legault, pourrait se chercher des alliés, principalement des premiers ministres conservateurs qui n'aiment pas particulièrement Trudeau et qui accueilleraient favorablement un combat sur l'autonomie provinciale.


Toutefois, quelques facteurs clés pourraient empêcher cette question de déborder. Tout d'abord, les provinces étant actuellement engagées dans des négociations sur des transferts fédéraux massifs pour le financement des soins de santé, le moment pourrait être mal choisi par les premiers ministres d’attiser les flammes d'une crise constitutionnelle. Deuxièmement, un récent sondage d'Abacus Data révélant que la plupart des Canadiens perçoivent déjà le Québec comme s'éloignant du reste du pays, l'éternelle menace de séparation pourrait ressurgir, incitant Trudeau à modérer sa rhétorique. Enfin, il reste aussi à voir comment les députés fédéraux conservateurs du Québec se positionneront si cette question s'aggrave.


Avec l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, Trudeau père a proclamé que la fédération canadienne durerait mille ans. La bataille que son fils s'apprête à livrer pourrait bien mettre à l'épreuve la validité de sa prédiction bien plus tôt qu'il ne l'aurait imaginé.

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